Tennis – FNEPT et CNES contre Fédération Française de Tennis: redevances et locations
23 novembre 2004
Cour d’Appel de Paris – 1ère Chambre – Section A
FNEPT – Fédération Nationale des Professeurs de Tennis
CNES – Confédération Nationale des Educateurs Sportifs
contre
Association Fédération Française de Tennis (FFT)
Extraits du Jugement :
Considérant que la FNEPT et la CNES relevant que, depuis 1982, la FFT indique dans ses publications que l’enseignant professionnel de tennis à titre indépendant ou libéral se définit par le fait qu’il doit acquitter un droit de location des installations dans lesquelles il est autorisé par le propriétaire à exercer son activité, lui impute à faute à faute le fait d’entendre ainsi «imposer, comme une norme légale, que les enseignants (travailleurs indépendants) doivent nécessairement payer un droit de location au profit des clubs dans lesquels ils exercent», ce qui, selon elles, est juridiquement faux et hautement préjudiciable aux enseignants, en ce que cela ampute leurs revenus et envenime leurs relations avec les clubs ;
Considérant que c’est à bon droit que les appelantes font valoir que le fait de louer des installations n’est pas une condition nécessaire pour se voir reconnaître la qualité de travailleur indépendant, le critère principal étant celui tiré de l’absence de lien de subordination avec le club au sein duquel l’enseignant exerce ; qu’en effet, ladite location ne peut qu’être un indice de l’absence d’un tel lien et la mise à disposition gratuite des installations ne saurait, à elle-seule, suffire à exclure le caractère libéral de l’activité exercée.
Considérant qu’il s’ensuit qu’est fausse l’information selon laquelle il est nécessaire pour être enseignant indépendant de louer les installations utilisées pour cette activité, ou que celle-ci se définit par cette location ; que la FFT le reconnaît elle-même en écrivant dans ses conclusions, après avoir cité un arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation du 10 juillet 1997, relatif à la qualification de l’activité d’un professeur de tennis, que « la location des courts n’est pas un élément nécessaire et suffisant pour qualifier le travail indépendant, mais apparaît bien, et à de nombreuses reprises, comme un des critères participant à cette qualification » ;
Considérant, en l’espèce, qu’il n’est pas contesté que dans son Guide annuel pour l’année 1984 la FFT indique sous le titre « Les clubs et l’U.R.S.S.A.F » que pour les brevetés d’Etat donnant des cours privés à leur seule initiative à des personnes membres ou non d’un club :
« Le ministre entend préserver le caractère indépendant des interventions qu’assurent les professeurs titulaires du Brevet d’Etat, exerçant cette profession à titre exclusif.
Toutefois, il exige que cette activité s’exerce dans le cadre d’une location effective du terrain et des matériels utilisés, c’est-à-dire dans des conditions qui ne sont pas sensiblement différentes de celles offertes aux usagers.
Sous cette réserve, les Brevetés d’Etat relèvent du régime de Sécurité Sociale offert aux professions indépendantes » ;
Que dans un supplément intitulé Dossier enseignement de sa revue Tennis Info daté de juin 1997, la FFT définit le breveté d’Etat travailleur indépendant en énonçant notamment : « il doit cotiser à l’URSSAF en tant que travailleur indépendant et pouvoir en apporter la preuve au club à qui il doit, par ailleurs, reverser un droit de location afférent aux courts sur lesquels il enseigne » ;
Que dans le numéro de septembre 2000 de la même revue, la FFT écrit dans une rubrique juridique intitulée « Statut du breveté d’Etat » ;
« Sont réputés être travailleurs indépendants les moniteurs de tennis titulaires du brevet d’Etat qui exercent à titre exclusif, louant les courts qu’ils utilisent, s’assurant eux-mêmes en responsabilité civile, rétribués directement par leurs élèves (lettre ministérielle du 27.08.1982) » ;
Que dans les Guide du dirigeant de club des années 2000, 2001 et 2002, au chapitre organisation de l’enseignement, la FFT évoquant le statut des enseignants de tennis énonce :
« Le travailleur indépendant (ou libéral)
Il se définit par les éléments suivants :
* il fournit une prestation de services dans son propre intérêt ;
* il négocie avec sa clientèle propre (il est payé directement par ses élèves) ;
* il supporte lui-même les risques de son activité : affiliation aux organismes sociaux et assurance en responsabilité civile ;
* il apporte la preuve des affiliations et assurances définies ci-dessus ;
* il acquitte un droit de location des installations dans lesquelles il exerce son activité avec l’autorisation du propriétaire de ces installations ;
* il signe un contrat de coopération libérale avec le club » ;
Qu’enfin les appelantes relèvent que dans le modèle de contrat de coopération libérale proposé par la FFT il est prévu un article 5 aux termes duquel l’enseignant « devra verser au club une redevance mensuelle de… correspondant au coût de maintenance des installations mises à sa disposition » ;
Considérant qu’il ressort des termes de ces publications que l’information donnée est inexacte ou de nature à induire en erreur les lecteurs quant à la portée du paiement d’une redevance de location des installations ;
Considérant, toutefois, que pour énoncer les conditions à remplir pour que soit reconnue le caractère libéral de l’activité d’un enseignant, la FFT s’est fondée sur une lettre datée du 27 août 1982 du ministre des affaires sociales et de la solidarité nationale au directeur de l’agence centrale des organismes de sécurité sociale relative à la situation des éducateurs et professeurs de tennis exerçant leur activité auprès d’associations sportives ;
Que cette lettre, destinée à clarifier la situation de ces enseignants quant à leur rattachement au régime des salariés ou à celui des indépendants, présente le régime indépendant comme une exception au régime salarié et énonce que « il importe cependant de préserver le caractère indépendant des interventions, en général limitées, qu’assurent les professeurs titulaires du brevet d’Etat exerçant cette profession à titre exclusif, lorsqu’elles comportent la location effective des terrains et des matériels utilisés, c’est-à-dire dans des conditions qui ne sont pas sensiblement différentes de celles offertes aux usagers. Les intéressés relèvent alors pour l’ensemble de leur activité des différents régimes de sécurité sociale offerts aux professions indépendantes » ;
Qu’ainsi, c’est de bonne foi que la FFT a alors diffusé cette information ; qu’en effet, elle était fondée à considérer comme pertinent un tel avis donné par le directeur de la sécurité sociale, signataire de la lettre par délégation du ministre ;
Considérant, toutefois, alors que les syndicats concernés avaient dès 1982 émis des protestations sur l’interprétation donnée par la FFT faisant de la location des installations un critère déterminant du statut d’enseignant indépendant, tandis que dans les années antérieures la mise à disposition de celles-ci pouvait être gratuite, une nouvelle lettre datée du 19 février 1997 de la direction de la sécurité sociale est intervenue ; qu’il ressort de la lettre du 16 septembre 1997 du secrétaire général de la FFT que celle-ci en a eu connaissance au moins avant cette dernière date ;
Que par cette lettre du 19 février 1997, il est indiqué à la CNES que le professeur de tennis souhaitant enseigner à l’intérieur d’une association doit en solliciter l’autorisation et que celle-ci « peut être donnée à titre gracieux ou s’effectuer à titre onéreux par le biais de la location du terrain » et que :
« le fait qu’il y ait location (ou sous location) de court, même s’il peut en être un indice, n’est pas un élément nécessaire du statut de travailleur indépendant des éducateurs de tennis. Celui-ci est établi dès lors que l’éducateur a la totale maîtrise de l’organisation de son activité, possède une clientèle personnelle et perçoit une rémunération non fixée à l’avance par l’association (a contrario, Cass. Soc. Du 17 novembre 1994 Armand de Lima c/CPAM et URSSAF de la Gironde).
Le statut social – salarié ou non salarié – d’une personne ne dépend pas d’un seul élément mais de la conjugaison de plusieurs éléments, tels qu’ils peuvent résulter de l’examen des conditions de fait dans lesquelles se déroule une activité » ;
Qu’ainsi la FFT ne pouvait plus se méprendre sur la portée de la lettre de 1982 ; qu’elle a pourtant persisté à lier le statut d’enseignant indépendant au fait de louer les installations, même si elle énonçait aussi d’autres critères ; que toutefois ceux-ci, mis sur le même plan, sont des conditions nécessaires pour se voir reconnaître une telle activité dans un club ; qu’au contraire, dans aucun des documents mis aux débats il n’est fait état de la faculté d’exercer sous ce statut sans être lié au club par un contrat de location des installations pas plus que n’est envisagée la possibilité d’une mise à disposition gratuite de celles-ci à un enseignant indépendant ; qu’en outre elle présente désormais comme nécessaire la signature entre l’enseignant et le club d’un contrat de collaboration libérale, alors que cela ne l’est pas ;
Considérant qu’il s’ensuit que les appelants caractérisent la faute dont ils font grief à la FFT ;
Considérant que, contrairement à ce que soutient la FFT, les syndicats appelants ont qualité à demander la réparation du préjudice que cette faute a causé à l’intérêt collectif de la profession qu’ils représentent ;
Considérant que sans être contredite, la FNEPT indique qua la situation concerne 3500 enseignants de tennis ;
Considérant qu’en cherchant à entraver l’exercice de l’activité de ceux-ci en dehors du paiement de redevances aux clubs, étant observé qu’elle incite ces derniers à conclure de tels contrats avec des redevances fixes, donc indépendantes de l’utilisation effective des installations par l’enseignant, la FFT a causé un préjudice aux intérêts matériels et moraux de la profession tant des enseignants de tennis que de tous les enseignants sportifs professionnels ;
Considérant qu’en l’état de l’ensemble de ces éléments, la cour estime que le préjudice directement causé à la FNEPT par la faute ci-dessus caractérisée à la charge de la FFT sera intégralement réparé par l’allocation d’une indemnité de 50.000 euros, et celui de la CNES par l’allocation de la somme qu’elle réclame ;
Considérant qu’alors qu’elle est saisie d’une action en responsabilité, il n’appartient pas à la cour de donner une définition juridique du travailleur indépendant ; que la demande de ce chef des appelants doit donc être rejetée ;
Considérant qu’en l’espèce les mesures de suppressions ou de publications sollicitées ne répondent pas aux exigences de la réparation du dommage ou de la prévention de sa répétition ; que les appelantes en seront déboutées ;
Considérant que la demande de la FFT n’explique pas en quoi les appelants ont tenu au ministre du travail des « propos particulièrement préjudiciables » ; que les demandes des appelants étant accueillies, elle ne peut qu’être déboutée de sa demande de dommages-intérêts ;
PAR CES MOTIFS :
Infirme le jugement sauf en ce qu’il a débouté la Fédération Française de Tennis de sa demande reconventionnelle ;
Statuant à nouveau :
Condamne la Fédération française de tennis à payer à la Fédération nationale des professeurs de tennis (FNEPT) la somme de 50.000 euros à titre de dommages-intérêts et à la Confédération nationale des éducateurs sportifs (CNES) celle de un euro, au même titre ;
Rejette toute autre demande ;
Condamne la Fédération française de tennis à payer à chacune d’elles la somme de 3000 euros au titre de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
La condamne aux dépens de première instance et d’appel et dit que ces derniers seront recouvrés comme il est prévu à l’article 699 du nouveau Code de procédure civile.
(Arrêt du 23 novembre 2004 RG n° 03/12996 – Cour d’Appel de Paris, 1ère chambre, section A).
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